
On ne se prépare pas à avoir un enfant en dehors du couple officiel. Et surtout, rien de ce qui pourrait être de la normalité dans un couple officiel, n'a l'apparence de normal dans un couple illégitime.
Avant même de me réjouir, ou de m'inquiéter, à haute voix, j'ai fait mille fois le tour de la question en quelques secondes dans ma tête, pour arriver à la conclusion que je ne savais pas, que je ne pouvais pas, que je ne voulais pas, que j'adorerais, que j'aurais préféré, que ce serait merveilleux, que ... tout s'entrechoquait, mais il y avait quand même des incontournables dans ma vie : L'amour ne se multiplie pas, le temps encore moins ... et s'il fallait me partager, soustraire une partie de moi à ma fille, je n'étais pas prêt à le faire. Dans mes amours illégitimes, je ne retirais rien à ma femme pour l'offrir à mes amantes. En revanche, pour l'éducation d'un enfant, je me trouvais confronté à mon implication en tant que père, que je ne pouvais pas concevoir à mi temps, à temps partiel, en pointillés.
- Ca y est, tu ne me vois plus en amante. Je suis une mère, plus une femme. Je sens dans ton regard que tu ne regardes plus à travers moi ce fantasme, ce plaisir, cette sexualité. Tout ça a disparu pour être remplacé par les courbes de mon ventre bientôt tout rond.
Le silence a été brisé par cet interjection unilatérale, j'avais dû laisser environ 5 à 6 secondes de silence. Pas de quoi sentir un souffle de malaise. Mais voilà, le schisme commençait à prendre place entre nous alors que ce fruit de nos amours aurait dû conforter tout ce que nous avions construit pas à pas sans dessiner de plan de vie.
Il est vrai que je n'avais pas encore remarqué que ses seins avaient pris une taille et qu'ils étaient douloureux, j'étais tellement loin d'imaginer une telle situation le jour précédent.
Lorsque ma femme est tombée enceinte, nous avons joué de cette situation en profitant de ce qui était un cadeau, comme une taille de bonnet et une libido boostée, compensation inespérée pour les haut-le-cœur qui forçaient le pragmatisme pendant les premiers mois. Avec mon amante, tout est devenu lourd de conséquence, et rien n'était plus léger du tout, d'un coup d'un seul.
- Tu te rends compte, je ne peux pas avoir un bébé avec toi, mon mari est blond aux yeux bleus comme moi ... c'est juste impossible, ça se verrait tout de suite.
Je n'avais pas eu le temps de faire une seule phrase, et en 15 secondes, tout était plié dans sa tête. Elle imaginait que je ne la désirais plus, et ce bébé ne pouvais pas naître, car il était un fruit trop coupable d'amours illégitimes auprès de son mari.
J'ai visité et revisité au cours des 10 dernières années ce qu'aurait pu être mon chemin de vie si tout avait été différent, et je me dis que j'aurais abouti au même constat, mais pas en 15 secondes. Il faut dire que, être en retard, acheter un test de grossesse, et le faire, ça a pris un peu de temps. J'aurais quand même aimé un peu de discussion, un peu de partage. Qu'on soit un peu synchrone.

Un "nous" totalement différent, un "nous" où toute la sensualité et toute la finitude de cette histoire ont pris le pas sur cette fusion ingénue et irréelle que nous vivions ... pour laisser la place à ce que tous les amants vivent : savourer chaque seconde comme si c'était la dernière, en sachant pertinemment que tout ce que la vie nous offre peut nous être retiré, en sachant clairement que 1+1 = 1+1 tant que nous nous autorisions à n'être que des amants ...
Et c'est ce que nous avons, tous les deux, vécu encore quelques temps ... une vie d'amants, une parenthèse enchantée, un chemin de traverse, des bulles de plaisir ...